
[Edito] Loi Narcotrafic: la traque s’étend aux cryptoactifs
Un texte qui vise particulièrement le secteur
Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 1er avril, la proposition de loi Narcotrafic, ou loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic », poursuit son parcours législatif, avec une adoption définitive attendue les 28 et 29 avril.
Parmi les dispositions notables, deux concernent directement les cryptoactifs.
La première porte sur l’extension du mécanisme de communication systématique d’information (COSI) aux transferts de crypto-actifs d’une valeur supérieure à 1 000 €. Ce mécanisme imposerait aux prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) de déclarer automatiquement à Tracfin toute transaction excédant ce montant.
La seconde disposition controversée introduit une présomption de blanchiment en cas de recours à des outils de mixage de cryptoactifs. Ces outils, parfois mis en cause dans des affaires de blanchiment, sont ici particulièrement visés.
Le texte prévoit que toute opération impliquant « un cryptoactif à anonymat renforcé ou de fonds acheminés par l’intermédiaire d’un mixeur ou d’un mélangeur de crypto-actifs » est présumée constituer un acte de blanchiment.
Cette présomption s’applique également lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières des opérations (exportation, importation, transfert, compensation, placement ou conversion d’actifs numériques visés à l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier) ne peuvent avoir d’autre justification que de dissimuler le bénéficiaire effectif des fonds ou des actifs numériques concernés.
L’objectif affiché est de renforcer les outils juridiques à disposition des autorités.
Une mesure superfétatoire et juridiquement contestable
Le droit français permet déjà, depuis 2013, d’inverser la charge de la preuve en matière de blanchiment, y compris pour les actifs numériques. L’article 324-1-1 du Code pénal autorise les juges à présumer qu’un bien est le produit d’un crime lorsque son origine ne peut être justifiée autrement que par une volonté de dissimulation.
Or, cette disposition a déjà été pleinement appliquée en fait au secteur des cryptoactifs. Par un arrêt du 15 février 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation reconnaît ainsi l’application de la présomption de blanchiment à l’ensemble des actifs présents sur un wallet suspect, même ceux ne provenant pas directement de l’infraction principale.
Rappelons que la neutralité technologique implique que le droit ne condamne pas un outil en soi, mais seulement l’usage illicite qui en est fait. Or ici, l’utilisation d’un protocole — comme un mixeur — devient, par nature, suspecte, indépendamment du contexte.
Cette systématisation de présomption dans la loi opère donc un glissement préoccupant eu regard de plusieurs principes fondamentaux parmi lesquels :
- la présomption d’innocence : le recours à un protocole, pris isolément, ne pourrait être assimilé à un acte délictueux ;
- la liberté d’usage des technologies : la loi ne devrait pas restreindre l’accès à des outils simplement parce qu’ils permettent l’anonymat.
Des usages légitimes souvent oubliés
L’anonymat ne devrait pas être une infraction en tant que telle, et il existe de nombreuses raisons parfaitement légitimes de recourir à un mixeur ou à un protocole garantissant la confidentialité.
D’abord, pour préserver sa vie privée dans un secteur sensible où la transparence absolue des transactions peut constituer un risque.
Ensuite, l’utilisation de ces outils permet d’éviter le suivi automatique des mouvements sur la blockchain. Pour contrebalancer une transparence parfois excessive et intrusive, ces outils permettent dans certains pays politiquement instables ou répressifs, une protection pour les utilisateurs dont les activités financières peuvent les exposer à des poursuites arbitraires.