Le PLF 2019 ou la Crypto Nation
Le nouveau régime fiscal applicable aux cryptomonnaies vient d’être voté en première lecture à l’Assemblée nationale.
Si ce régime a le mérite de clarifier les règles fiscales applicables aux gains de trading des particuliers il est loin d’être à la hauteur des ambitions affichées par le Gouvernement visant à faire de la France la terre d’asile des projets blockchain.
Le projet de loi de finances (PLF) peut certes techniquement encore évoluer au cours de la discussion parlementaire, mais il ne reste que peu d’espoir compte tenu de la satisfaction affichée du Gouvernement et du rapporteur général du budget.
Ainsi, le présent article revient sur les principaux apports et non-apports du projet à ce stade.
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D’abord, le PLF instaure, sur les ruines des bricolages jurisprudentiels antérieurs, une nouvelle partie au code général des impôts contenant un réel régime fiscal applicable aux gains de trading des particuliers dont les principales caractéristiques sont les suivantes :
- les transactions crypto-cryptos sont exonérées : c’est le vrai point positif du projet et la vraie particularité du régime des cryptos. Si cette concession peut paraître naturelle pour l’écosystème, elle ne l’est pas aux yeux du droit fiscal et constitue donc une avancée indéniable malgré la rédaction plutôt maladroite de l’alinéa en question. Désormais le fait générateur de l’imposition est l’échange des cryptos contre une monnaie ayant cours légal ou un bien ou un service ;
- les obligations déclaratives sont aménagées : sous l’empire du régime des plus-values sur biens meubles applicable jusqu’à la fin de l’année, les plus-values réalisées devaient être déclarées, même en cas d’échange entre cryptoactifs, mais surtout, dans le mois suivant la cession ; le régime était donc inapplicable pour la majeure partie des traders. Sous réserve de précisions par décret, le nouveau régime prévoit une déclaration annuelle des plus-values sur la déclaration de revenus classique mais également sur un formulaire ad hoc, dédié aux cryptoactifs ; cette déclaration devra reprendre toutes les « cessions imposables » de l’année ;
- la méthode de calcul de la plus-value imposable est clarifiée : le PLF prévoit une méthode de calcul dont la simplicité dépend grandement d’outils de valorisation du portefeuille de cryptoactifs ; la plus ou moins-value est égale au prix de cession des cryptos diminué d’une fraction des cash-in égale à la fraction du cash-out ; autrement dit, si l’on cède 30% de son portefeuille pour 10 000 €, on déduira de cette somme 30% de ses cash-in pour déterminer sa plus ou moins-value ; la méthode implique donc, d’une part, de suivre minutieusement l’ensemble de ses cash-in, et, d’autre part de pouvoir valoriser en euros l’ensemble de son portefeuille lors de chaque cash-out ;
- un abattement « Crypto Nation » est instauré : pour « inciter à l’utilisation des cryptoactifs en tant que moyen de paiement », un amendement prévoit un abattement de 305 € ; les problèmes sont, d’une part, que cet abattement est annuel et, d’autre part, qu’il s’applique sur les montant des cessions et non des plus-values ; pour finir, cet abattement a un fondement économique obscur… pourquoi 305 et pas 300 ou 3 000 ?
- un prélèvement forfaitaire unique est appliqué : enfin, les plus-values annuelles devront être agrégées et seront soumises au prélèvement forfaitaire unique à un taux de 30 % comprenant l’impôt (12,8 %) et les prélèvements sociaux (17,2%) ; en ces temps moroses, il est intéressant — mais malheureux — de préciser qu’en cas d’année déficitaire, les moins-values de l’année seront perdues car ni reportables l’année suivante, ni déductibles d’un autre type de revenu…
Ainsi, le régime apparaît assez complet bien qu’on ne peut que regretter l’absence de précision de la notion d’habitude(amendement n° II-2431) dans le cadre d’une activité de trading de cryptos qu’il reviendra à la jurisprudence de préciser, de la même manière qu’en matière d’opérations de bourse. Les gains de trading réalisés à titre habituel resteront soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
De plus, s’il simplifie et lève de nombreux doute, il aura, dans de nombreux cas, pour conséquence d’alourdir la charge fiscale des traders qui pouvaient antérieurement bénéficier d’une exonération des cessions inférieures à 5 000 euros et d’un abattement pour durée de détention.
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Ensuite, le projet instaure une nouvelle obligation déclarative sur le modèle de la déclaration des comptes bancaires détenus à l’étranger prévue à l’article 1649 A du CGI. Nombreux sont les spécialistes qui se demandaient si les plateformes acceptant les fiat devaient être déclarées sur le fondement de cet article. Désormais, les doutes sont levés. La nécessité de créer un texte spécifique peut alors laisser penser que l’article précité ne s’appliquait pas aux exchanges.
Quoi qu’il en soit, le texte prévoit une nouvelle sanction légèrement progressive selon le montant détenu sur ces comptes et plafonnée à 10 000 € par déclaration : de cette manière, le législateur se protège de la censure constitutionnelle du texte qui reste une question sérieuse compte tenu des principe de nécessité des peines et d’égalité devant les charges publiques.
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Enfin, le PLF manque sa chance de faire de la France un pays réellement attractif en matière de projets blockchain alors que le cadre réglementaire semblait mettre la France dans les starting blocks.
Pourtant, les propositions des différents acteurs et associations professionnelles du secteur (Chaintech,…), relayées par des députés volontaires étaient nombreuses. La fiscalité des cryptos aurait pu permettre de dopper :
- le développement du minage : en adoptant les amendements visant à éviter la double collecte de la TVA (n° II-2432) ; à confirmer l’exonération de la taxe sur l’électricité des centres de minages (n° II-2429) ; ou en instaurant un régime favorable aux « petits mineurs » qui auraient pu être distingués des mineurs professionnels par l’instauration d’un seuil de chiffre d’affaires et voir leurs gains soumis au PFU ;
- la création de sociétés liées aux crypto-actifs : en adoptant les amendements visant à reporter la plus-value d’imposition en cas d’apport de cryptoactifs en société pour financer son activité (n° II-2430) ; ou à faire bénéficier des distributions gratuites de tokens aux salariés du régime fiscal avantageux applicable aux attributions gratuites d’actions (n° II-2433) ;
- l’utilisation des crypto-actifs : en créant une franchise d’impôt en cas d’achats réglés en cryptoactifs ;
- l’innovation en matière de blockchain : en étendant explicitement le crédit d’impôt recherche aux recherches en matière de blockchain et en créant une réduction d’impôt spécifique bénéficiant aux personnes investissant dans des sociétés du secteur.
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La fiscalité du numérique lors de la révolution internet n’a été adaptée que sur le tard, pour finalement faire de la France un « paradis fiscal pour les startup » (dixit Xavier Niel), sans grand résultats… Il est regrettable que le gouvernement n’ai pas saisi l’occasion de l’émergence des cryptoactifs pour accorder des incitations fiscales au début, quitte à les supprimer une fois l’écosystème arrivé à maturité. C’était en tout cas, le message des associations du secteur.
En tout état de cause, il est tout à fait inexact de déclarer, comme l’a fait notre ministre de l’Économie, que ce cadre sera suffisant pour attirer les porteurs de projets du monde entier du monde entier…