Quand les ICOs ont rencontré la SEC
Une traduction commentée du discours sur les ICO de William Hinman, directeur du département Corporate Finance au sein de la SEC : Transactions d’actifs numériques : Quand Howey a rencontré Gary (Plastic)
2017 : Année de l’explosion d’un nouveau mode de financement permettant de lever des montants faramineux sans diluer une goutte de capital, ni s’endetter mais en cédant des tokens, actifs numériques susceptibles de représenter de multiples intérêts voire aucun.
2018 : Année de l’explosion des contentieux contre ces ICOs fondés pour la plupart sur la méconnaissance de la régulation financière américaine : Tezos, Centra, Unikrn,… (voir le Block-note pour plus d’infos)
Ces deux phénomènes ont la même cause : l’absence de régulation et la liberté dont les ICOs ont pu jouir.
Or, cette assertion est loin d’être vraie, voir peut énormément varier selon que l’on se trouve d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique.
Au sein de l’Union européenne, les levées de fonds classiques sont régulées et impliquent un nombre important d’obligations juridiques. Le champ d’application de cette régulation est cependant défini de manière stricte et vise les opérations de financement classiques : offre publique de titres financiers, émission d’obligations, etc.
L’offre publique de tokens n’entre donc pas, dans la majorité des cas, dans le champ de cette régulation.
Aux Etats-Unis, en revanche, l’enjeu est de déterminer si l’ICO constitue une offre de security régulée par la SEC en vertu du Security Act. Or, la qualification de security dépend moins de la nature du bien offert au public que des conditions de cette offre. En effet, le test d’Howey consacré par la Cour Suprême en 1946, permet de faire entrer dans le champ de la régulation n’importe quel bien dès lors qu’il est offert dans des conditions caractérisant l’existence d’un contrat d’investissement.
L’actif numérique lui-même, est simplement du code. Mais la façon dont il est vendu (…) peut en faire, et, dans ce contexte, en font le plus souvent, une security.
A cette fin, la question à se poser est : « Un actif numérique qui était initialement proposé à la vente dans le cadre d’une offre de titres financiers peut-il par la suite être vendu dans un autre cadre que celui de l’offre de titres financiers ? ». Dans les cas où l’actif numérique représente une série de droits donnant à son détenteur un intérêt financier dans une entreprise, la réponse vraisemblablement « non ». Dans ces situations, appeler une transaction une Initial Coin Offering, ou « ICO » ou une vente de « token », ne la sortira pas du champ de la loi US sur les titres financiers.
Mais qu’en est-il des cas où l’entreprise centrale dans laquelle il a été investi n’existe plus ou alors que le bien numérique est vendu uniquement pour être utilisé pour acheter un bien ou un service disponible par le biais du réseau dans lequel il a été créé ? Je pense que dans ces situations, la réponse est un « oui » mitigé.
Il décrit les intentions des porteurs de projet d’ICO qu’il rencontre.
Je commencerai par décrire ce que je vois souvent. Les promoteurs, afin de lever des fonds pour développer les réseaux sur lesquels opéreront les actifs numériques, vendent souvent des tokens ou des coins plutôt que d’émettre des actions, des obligations ou d’obtenir un financement bancaire. Mais, dans de nombreux cas, la substance économique est la même que celle d’une offre de titres classique. Les fonds sont collectés avec l’attente que les promoteurs construisent leur système et que les investisseurs obtiennent un rendement sur le token — généralement en vendant celui-ci sur le marché secondaire une fois que les promoteurs aient créé de la valeur avec le produit et que la valeur de l’entreprise ait augmentée.
Afin d’illustrer la mise en oeuvre du test d’Howey, il cite plusieurs exemples éloquents :
Quand quelqu’un achète un bien immobilier pour y vivre, ce n’est probablement pas une security. Toutefois, dans certaines circonstances, le même actif peut être offert et vendu d’une manière qui amène les investisseurs à avoir une attente raisonnable de bénéfices en fonction des efforts d’autrui. Par exemple, si le bien immobilier est proposé avec un contrat de gestion ou d’autres services, cela peut constituer une security.
De même, lorsqu’un CD [Certificate of Deposit] exempté de la régulation applicable aux security en vertu de l’article 3 de du Securities Act est vendu dans le cadre d’un programme organisé par un courtier offrant aux investisseurs des promesses de liquidité et la possibilité de tirer parti des variations des taux d’intérêt, l’affaire Gary Plastic nous enseigne que l’instrument peut faire partie d’un contrat d’investissement qui constitue une security.
Dans mon exemple préféré, la Commission a mis en garde, à la fin des années 60, sur les contrats d’investissement vendus sous forme de reçus d’entrepôts de whisky. Les promoteurs ont vendu aux investisseurs américains ces reçus d’entrepôts pour financer le processus de vieillissement et de mélange du scotch. Le whisky était réel et pour certains avait une utilité exquise. Mais Howey ne vendait pas d’oranges et les promoteurs des reçus d’entrepôt ne vendaient pas de whisky à consommer. Ils vendaient des investissements et les acheteurs s’attendaient à un retour sur investissement en raison des efforts des promoteurs.
Avant de conclure en l’appliquant aux ICO’s.
Tout comme dans l’affaire Howey, les jetons et les pièces sont souvent considérés comme des actifs à part entière, associés à la promesse que les actifs seront cultivés de manière faire fructifier leur valeur, pour les revendre plus tard avec profit. Et, comme dans Howey — où les intérêts dans les vergers étaient vendus aux clients de l’hôtel, pas aux agriculteurs — les tokens et les coins sont généralement vendus à un public plus large que les personnes susceptibles de les utiliser sur le réseau. (…)
Pour revenir aux ICOs que j’examine, le token — ou le coin ou quel que soit l’appellation de l’actif numérique — n’est pas en soi une security, tout comme les orangeraies de Howey ne l’étaient pas.
Le même raisonnement s’applique aux actifs numériques. La ressource numérique elle-même est simplement du code. Mais la façon dont il est vendu — dans le cadre d’un investissement ; à des personne n’étant pas des utilisateurs du service; par les promoteurs pour développer peut être l’entreprise — en fait le plus souvent un security — car c’est ce qui caractérise un contrat d’investissement.
Pendant un certain temps, certains ont cru qu’un tel étiquetage (en tant qu’utility token) pourrait, à lui seul, faire sortir la transaction du champ d’application des lois sur les valeurs mobilières.
Partant de ce principe, il estime que Bitcoin et Ethereum n’entrent pas dans cette régulation
Et donc, quand je regarde Bitcoin aujourd’hui, je ne vois pas de tiers central dont les efforts sont un facteur déterminant dans l’entreprise. Le réseau sur lequel fonctionne Bitcoin est opérationnel et semble avoir été décentralisé pendant un certain temps, peut-être depuis sa création. L’application du régime fédéral sur les valeurs mobilières à l’offre et à la revente de Bitcoin semblerait n’avoir que peu d’intérêt. Et mis à part la collecte de fonds qui a accompagné la création d’Ether, basée sur ma compréhension de l’état actuel d’Ether, le réseau Ethereum et sa structure décentralisée, les offres actuelles et les ventes d’Ether ne sont pas des transactions de titres.