Un CFD sur cryptomonnaies reste un CFD : le point sur le régime
Les fondateurs de BitMEX, l’une des principales plateformes d’échange de cryptomonnaies et de trading de produits dérivés, ont récemment été accusés de violation de la loi américaine sur le secret bancaire pour avoir offert des produits dérivés sur cryptoactifs tout en omettant délibérément de mettre en œuvre une politique adéquate de lutte contre le blanchiment. Dans le même temps, le régulateur financier anglais a rendu public une position qui prohibe ce type d’instrument au Royaume-Uni à compter de janvier 2021.
L’occasion se présente de revenir sur ces produits dont l’accessibilité pour les investisseurs cryptos contraste avec un régime réglementaire particulièrement lourd et contraignant. Parmi les produits dérivés disponibles, les Contracts For Difference (« CFD »), sont particulièrement populaires et présentent des risques importants sur lesquels nous concentrerons notre analyse.
Pour déterminer le régime applicable aux CFD sur cryptos, il est indispensable de déterminer la qualification juridique de ces produits et, plus particulièrement, s’ils répondent à la définition de contrat financier soumis à une réglementation stricte.
💸 La qualification juridique des CFD sur cryptomonnaies
Les CFD permettent d’obtenir le versement de l’écart, positif ou négatif, entre le prix d’un actif sous-jacent à la conclusion du contrat et son prix à une date fixée à l’avance. Il s’agit par exemple de la différence positive ou négative entre le prix du bitcoin au 1er janvier 2021 par rapport à son prix au 1er novembre 2020. Afin de démultiplier les gains, les investisseurs en cryptos ont habituellement recours à un effet de levier, c’est-à-dire à un emprunt permettant de financer l’acquisition de contrats financiers. Cette technique peut cependant donner lieu à une démultiplication des pertes.
Parmi la liste des contrats financiers fixée par le code monétaire et financier, figurent « les contrats avec paiement d’un différentiel ». Toutefois, si les CFD sur cryptos prévoient effectivement le paiement d’un différentiel, leur qualité de contrats financiers est davantage sujette à discussion.
L’AMF estime que le critère du règlement en espèces est déterminant pour savoir si l’on est en présence d’un contrat financier ou non. La notion de règlement en espèces, caractéristique des contrats financiers, s’oppose à la notion de livraison en nature, propre aux contrats commerciaux plus classiques. En effet, les contrats financiers présentent une dimension spéculative, illustrée par le fait de chercher à obtenir une différence de valeurs entre deux dates, là où un contrat commercial permet d’acquérir un bien à un prix déterminé à une date fixe.
A suivre ce raisonnement, les contrats portant sur des sous-jacents non financiers, tels que les actifs numériques, peuvent tomber dans la catégorie des contrats financiers dès lors qu’ils sont réglés en espèces.
Les CFD sur cryptos sont généralement réglés en cryptos et non en « espèces » au sens strict. Toutefois, cette circonstance ne paraît pas suffisante pour exclure la qualification de contrat financier au regard de l’esprit du texte. En effet, dans la mesure où le dénouement du contrat reste effectué en valeur et non en nature, le contrat est réglé en « espèces » et présente un caractère financier.
Par ailleurs, cet argument est renforcé, d’une part, par le caractère fongible et l’usage monétaire des cryptomonnaies, et d’autre part, par le fait que les utilisateurs de service de CFD sur cryptomonnaies ne cherchent qu’à s’exposer aux variations de cours des cryptomonnaies et non à les détenir.
Ainsi, les CFD sur cryptomonnaies, réglés en « espèces », doivent être qualifiés de contrats financiers et sont soumis à leur réglementation.
⚖️ Le régime applicable aux CFD sur cryptomonnaies
La distribution de CFD, sur cryptos ou non, implique de disposer d’un agrément en tant que prestataire de services d’investissement et d’obéir à un certain nombre de contraintes visant à protéger les épargnants de cet outil considéré comme particulièrement spéculatif.
🏛 Un agrément PSI pour offrir des CFD sur cryptomonnaies
Pour pouvoir légalement distribuer des CFD sur cryptomonnaies, le distributeur doit être agréé en tant que prestataire de services d’investissement (« PSI ») par l’ACPR.
En pratique, cet agrément est inaccessible à l’immense majorité des prestataires proposant des services sur cryptomonnaies : il implique des coûts d’obtention et des exigences prudentielles très importants.
L’agrément de PSI implique notamment de mettre en œuvre une politique de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme(« LCB-FT »). Aux Etats-Unis, les fondateurs de la plateforme BitMEX sont accusés à ce titre et il pourrait en être de même en Europe. Les manquements en matière de conformité aux obligations LCB-FT de la part des services soumis à la procédure d’enregistrement obligatoire sont passibles de sanctions incluant une amende pouvant s’élever à 5 millions d’euros.
En outre, à défaut d’agrément, les fournisseurs de CFD sur cryptomonnaies encourent une peine de 3 ans d’emprisonnement, une amende comprise entre 375 000 € et 1 875 000 €, ainsi que des sanctions pénales complémentaires parmi lesquelles l’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales.
⛔️ Les limites à la commercialisation des CFD sur cryptomonnaies
Les risques significatifs que présentent les CFD, quel que soit le sous-jacent, ont conduit les régulateurs européen et français à limiter ces produits et à encadrer leur commercialisation.
La protection des épargnants passe en France par une décision de l’AMF du 2 juillet 2019 qui pérennise, sur le territoire français, les restrictions antérieurement prononcées par l’ESMA concernant la commercialisation de CFD à destination des particuliers.
Ces restrictions rendent ces produits financiers peu attractifs en imposant, par exemple, un effet de levier qui ne peut être supérieur à 2:1, ce qui est généralement très inférieur aux effets de levier envisagés par les acteurs du secteur.
Par ailleurs, les publicités directes ou indirectes sont interdites (à l’instar de celles figurant ci-dessous), dès lors que le prestataire de services ne prévoit pas de s’engager à rembourser à l’investisseur ses pertes au-delà de sa mise initiale. Concrètement, il est interdit de rendre accessible un site internet ou une application offrant des CFD sur cryptomonnaies à un français sur le territoire français.
En outre, les prestataires régulés ne peuvent communiquer ni publier d’informations concernant la commercialisation, la distribution ou la vente des CFD, à moins d’inclure un avertissement approprié sur les risques encourus et de préciser, a minima, que « 74-89% des comptes CFD de clients de détail perdent de l’argent ».
Enfin, de lourdes sanctions menacent les prestataires de services de CFD sur cryptomonnaies, incluant une éventuelle inscription sur la « liste noire » de l’AMF aux côtés des sites internet qui ne respectent pas ou sont soupçonnés de ne pas respecter le cadre légal.
Notons pour finir que les restrictions et sanctions évoquées pèsent non seulement sur les prestataires directs de CFD sur cryptomonnaies, mais également sur les acteurs tiers qui rendent accessibles des CFD en France.