Casinos en ligne : les streamers mis en garde par l’ANJ
Les jeux en ligne représentent aujourd’hui 4,9 millions de comptes actifs en ligne, avec des mises qui atteignent les 5 milliards d’euros pour un produit brut des jeux estimé à 1,7 milliard d’euros en 2020.
Avec le confinement, les jeux d’argent et de hasard en ligne ont connu une progression énorme grâce à l’arrivée d’un nombre important de nouveaux joueurs qui ont découvert les jeux d’argent, notamment par l’intermédiaire de plateformes de streaming comme Twitch, qui proposent désormais plusieurs catégories dédiées à ces jeux.
L’encadrement de la promotion des jeux d’argent et de hasard en ligne
Cette popularité nouvellement acquise ne doit cependant pas amener les joueurs et les opérateurs à oublier que dans la plupart des cas, ces jeux d’argent et autres casinos en ligne sont strictement interdits en France.
En effet, la loi interdit en France les casinos en ligne, et de manière générale tout jeu d’argent et de hasard, à l’exception de quelques jeux bien spécifiques (poker, paris sportifs et hippiques) soumis à un régime d’obtention d’un agrément préalable délivré par l’Autorité nationale des jeux (dite ANJ, auparavant Autorité de régulation des jeux en ligne).
Cette interdiction s’étend à la promotion ou à la publicité en faveur de sites dont l’offre est illégale en l’absence d’agrément de l’ANJ, ce qui concerne notamment les casinos en ligne qui ne sont jamais autorisés.
Proposant au premier chef du jeu vidéo, les plateformes de streaming sont statistiquement très fréquentées par les mineurs.
C’est dans ce contexte que l’ANJ a annoncé un plan stratégique de lutte contre l’offre illégale de jeux en ligne entre 2021-2023, ce qui laisse entendre une politique d’une particulière intransigeance à l’égard de ceux qui participent – de près ou de loin – à promouvoir l’offre illégale de jeu auprès du public français.
Ce plan s’est récemment matérialisé par une première campagne de communication menée auprès du public de ses plateformes qui s’est concrétisée par l’envoi de nombreuses mises en demeure à l’égard des principaux streamer faisant la promotion de casinos en ligne non agréés et des réseaux sociaux hébergeant leurs contenus.
La plateforme twitch a donc été contrainte d’interdire le contenu promotionnel pour les casinos en ligne, notamment déployé via des liens d’affiliation et de parrainage que le diffuseur (streamer) affichait en lien dans la section description lors de ses live contre rémunération. Cette première mesure pourrait annoncer des restrictions plus importantes à l’avenir, ce que redoutent les influenceurs qui tirent des revenus conséquents de ces liens d’affiliation.
Dès la mise en place de cette nouvelle interdiction, certains influenceurs ont décidé de la contourner en utilisant leurs Discord, Instagram ou autres sites personnels pour continuer à relayer des liens d’affiliation renvoyant vers les sites d’opérateurs de jeux d’argent et de hasard, généralement hébergés à l’étranger. En France, cette pratique n’en reste pas moins illégale.
Les risques
Aussi, le streamer qui fait la promotion des casinos interdits s’expose à des peines lourdes, c’est-à-dire jusqu’à 100 000 euros d’amende, et même jusqu’au quadruple du montant des dépenses publicitaires consacrées à l’activité illégale.
La promotion intensive d’un casino illégal particulier susceptible d’être le partenaire d’un streamer pourrait même, sous certaines conditions, être qualifié de complicité d’offre au public d’un site de jeux d’argent et de hasard, délit punissable d’une peine de trois années d’emprisonnement et de 90 000 euros d’amende.
Dans tous les cas, l’ANJ peut également saisir le tribunal judiciaire de Paris afin de déréférencer et faire bloquer par les fournisseurs d’accès internet (F.A.I.) français tout site faisant la promotion d’un site de paris ou de jeux d’argent et de hasard non autorisé.
Un influenceur qui s’imaginerait intouchable car installé à l’étranger aurait tort car dès son retour en France, serait-ce pour un séjour temporaire, il pourrait bien être poursuivi et placé en garde à vue, à peine entré sur le territoire.
Au demeurant, il s’expose à un blocage de ses comptes sur les réseaux sociaux par les plateformes d’hébergement après signalement de l’ANJ en application de la loi pour la confiance dans l’économie numérique qui impose aux hébergeurs une obligation de retrait des contenus manifestement illicites.
Le critère du targeting du marché français
Au fond, ainsi que nous l’avons évoqué à l’occasion d’un précédent article, la question cruciale est donc celle de savoir comment l’ANJ et l’autorité judiciaire pourront justifier l’application de la loi française à ses streamers. Le critère déterminant étant alors celui du ciblage du public français. S’il est fort probable, ici, qu’ils considèrent qu’un diffuseur francophone s’adresse à un public établi sur le territoire français, la réalité juridique est plus complexe.
Les plateformes de streaming et de vidéos comme Twitch ou Youtube ont en effet la particularité, contrairement à la télévision ou la radio, de ne pas s’adresser au public d’un seul pays, bien délimité territorialement. Twitch.tv, pour ne citer que cette plateforme majeure, n’a pas de nom de domaine dédié à chaque pays.
Dans ces conditions, un spectateur (viewer) aux Etats-Unis peut très logiquement regarder le contenu d’un diffuseur français, qui aura décidé que son contenu sera proposé en anglais pour attirer un plus large public. Dans cette configuration, le régulateur pourrait difficilement justifier des poursuites contre le streamer en application de la réglementation française.
Ainsi, avec les casinos en ligne, la problématique reste complexe à appréhender. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation sur les délits commis en ligne, le seul fait que le diffuseur utilise la langue française pour sa diffusion en direct ne saurait suffire à considérer qu’il s’adresse à un public français. Des décisions plus récentes rendues par les juges du fond ont toutefois opté pour une approche plus stricte pour ne pas dire contradictoire en estimant que le simple fait pour une personne de pouvoir accéder au contenu illicite depuis la France suffisait à justifier l’application de la réglementation française.
Les mesures de conformité pour écarter l’application de la loi française
Par conséquent, le diffuseur qui souhaite continuer à proposer des liens d’affiliation vers des sites de casinos en ligne interdits en France va devoir veiller scrupuleusement à ce que sa communication ne s’adresse pas à un public français et, le cas échéant, à se préparer à en faire la démonstration en cas de poursuites.
C’est sur la base d’un faisceau d’indices que le juge décidera qu’un diffuseur s’adresse ou non au marché français. Or, plusieurs mesures correctrices peuvent être mises en place pour attester que le public français n’est pas particulièrement celui ciblé par la communication promotionnelle du streamer. Disons-le d’emblée, la simple référence à un drapeau canadien ou belge sur la communication en français des diffuseurs ne sera pas suffisante pour écarter l’application de la loi française.
Seule une réflexion globale sur la stratégie de communication comprenant plusieurs mesures cohérentes visant à dissuader et protéger le public français contre le contenu promotionnel interdit seront susceptible de convaincre le juge pénal que la loi française n’a pas vocation à s’appliquer.
Les voies de recours
Aussi, dans l’éventualité de poursuites ou de blocage des contenus litigieux, il reste évidemment possible d’exercer les voies de recours adéquates (appel ou tierce opposition) afin d’apporter au juge tous les éléments permettant de démontrer que le public français n’est pas la cible concernée par la communication promotionnelle interdite.
Article écrit en collaboration avec Dorian Bougoin, élève-avocat.