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17 juillet 2019

Cryptos et jeux d’argent : un amour impossible ?

Auteur
Alexandre Lourimi

Les cryptos révolutionnent le marché des jeux d’argent en ligne. Parmi les 15 plus importantes Dapps, plus de la moitié sont des applications de jeux d’argent, qu’il s’agisse de paris sportifs comme TRONbet, de casino en ligne comme Dice, de loteries comme PoolTogether ou de poker comme PokerKing.

Cela n’est pas étonnant lorsque l’on connaît la taille du marché du jeu en ligne (525Mds $ en 2023) et que l’on comprend les opportunités techniques qu’offre la blockchain dans ce contexte (micro-paiement, automatisation des transactions, immutabilité, transparence, etc.).

En France, si le marché des jeux d’argent en ligne a été ouvert à la concurrence en 2010, ces activités restent particulièrement encadrées par l’ARJEL — dont les pouvoirs vont être renforcés — et scrutées par Tracfin en raison des risques de pertes et d’addiction pour le public et des liens étroits historiquement entretenus par le secteur avec la criminalité et le blanchiment de fonds ; des risques tout autant mis en avant dans la politique de régulation des crypto-actifs.

Le strict encadrement des jeux en ligne

Les jeux d’argent sont par principe prohibés en France dès lors qu’ils répondent aux trois conditions suivantes.

S’adresser au public

Cette première condition est systématiquement réunie lorsqu’il s’agit d’un site internet, sauf éventuellement à ce que ce site ne soit accessible qu’à un cercle très restreint d’individus.

Pour entrer dans le champ de la régulation 🇫🇷, le site doit être accessible depuis la France. Le blocage absolu de tout utilisateur français étant techniquement impossible, les juges raisonnent par faisceau d’indices pour déterminer si l’offre est adressée à des utilisateurs français : usage de la langue française, paiement en euros acceptés, absence de disclaimer dans les CGV, absence de blocage d’IP, etc.

Offrir une espérance de gain dû au hasard

La condition de hasard permet d’exclure les opérations dans lesquelles le montant des gains est connu à l’avance (par exemple, un investissement dans le bitcoin qui est certes motivé par l’espérance d’un gain mais où la contrepartie est la remise du bitcoin dont la valeur au moment de l’achat est connue à l’avance).

La condition de gain est entendue au sens large. Elle vise évidemment les gains d’argent mais également les gains en nature constitués notamment par la remise d’un bien, comme un crypto-actif, dès lors que celui-ci est « susceptible de donner lieu à une monétisation, c’est-à-dire d’être vendu ».

Impliquer un sacrifice financier

Si la notion paraît simple dans le cas où le jeu est payant — comme en matière de loterie, de poker ou de jeux de grattage — de nouveaux usages conduisent le régulateur à la réexaminer.

En effet, les juridictions ont déjà jugé que la remise d’un bien constituait un sacrifice financier (donc la remise de cryptos) et l’ARJEL a récemment estimé que le simple fait d’accorder l’accès à ses données personnelles au jeu, bien que gratuit, pouvait s’apparenter à un sacrifice financier. Néanmoins, cette interprétation n’a pas encore été validée par un juge.

Pour la fourniture d’un service réunissant ces trois critères, l’obtention d’un agrément est nécessaire. A ce jour, seule une quinzaine d’acteurs ont été agréés par l’ARJEL au terme d’une procédure particulièrement exigeante et coûteuse qui est inenvisageable pour un jeune projet. Le fait de disposer d’un agrément à l’étranger — la plupart du temps au Curaçao ou à Malte — ne permet pas d’opérer sur le marché français.

La fiscalité de ces acteurs est par ailleurs prohibitive puisqu’il s’agit d’un prélèvement forfaitaire sur les sommes misées par les utilisateurs de 5,7 % pour les paris sportifs et de 1,8 % pour les jeux de cercle. Concrètement, un opérateur ne réalisant aucun bénéfice supporte tout de même d’importants prélèvements fiscaux.

Enfin, les exigences techniques très précises auxquelles les plateformes doivent obéir semblent inadaptées à l’utilisation d’une blockchain.

Le cadre actuel est donc un obstacle important au développement de nouveaux acteurs alliant jeux et cryptos. On constate cependant que l’utilisation de cryptos permet de faire naître de nouveaux usages susceptibles d’échapper à cette régulation.

Innovations techniques et opportunités juridiques des cryptos

Le droit est généralement neutre quant à la technologie employée : papier, numérique, blockchain, etc. Les usages sont encadrés, pas les moyens techniques pour y parvenir.

« Une partie de poker en bitcoins reste une partie de poker interdite. Un bookmarker inscrivant les paris sur une blockchain reste l’organisateur de paris interdits. »

Par ailleurs, les notions au fondement de la prohibition des jeux d’argent, comme le sacrifice financier ou l’espérance de gains, sont particulièrement vagues et l’autorité de régulation, appuyée par le politique, en adopte une interprétation très extensive au nom de l’impératif de protection des joueurs.

La plupart des jeux en ligne fondés sur la crypto ou utilisant une blockchain sont donc pleinement soumis à la réglementation applicable et risquent donc, en l’absence d’agrément, un blocage de leur site internet en France, un gel de leurs avoirs et des peines d’amende et d’emprisonnement.

Cependant, certains nouveaux usages créés par ces technologies permettent de s’écarter du champ de cette réglementation en bousculant ses critères d’application :

La notion de sacrifice financier

Les micro-paiements et le lending permettent de revenir sur la notion de sacrifice financier.

Le projet PoolTogether développe par exemple une « loterie sans perte » : les tickets sont achetés en DAI (un stablecoin backé par de l’ether), les DAI récoltés sont prêtés sur Compound, les intérêts sont versés aux gagnants et les autres participants récupèrent leur mise.

A priori on peut donc estimer qu’il n’y a pas de sacrifice financier puisque les participants récupèrent la sommes misée. Ce type de service n’est cependant pas totalement à l’abri d’une interprétation extensive qui conduirait à estimer que les intérêts, auxquels les participants auraient eu droit s’ils n’avaient pas participé, constituent un sacrifice financier.

Cependant, de nombreux arguments pourraient être opposés à cette analyse et il fait peu de doute que ce type de loterie emportera une importante adhésion.

La notion d’espérance de gain

L’attrait intellectuel et la multiplication des cryptos permettent de revenir sur la notion d’espérance de gains.

Le projet Cblocks propose une sorte de loot box de cryptos. L’utilisateur achète un portefeuille à une valeur déterminée et reçoit un panier de 5 cryptos différentes choisies parmi les 300 premières listées par CoinMarketCap.

L’ARJEL s’est déjà positionnée sur le traitement des loot boxes — qui consistent à recevoir des lots indéterminés de manière aléatoire — et a jugé qu’elles constituaient un jeu d’argent dès lors qu’elles étaient payantes et permettaient d’obtenir un gain aléatoire d’un objet monétisable.

Cependant, dans le cas de Cblocks, l’aléa se trouve dans la nature des biens et non dans leur valeur. Or, on ne peut considérer qu’il existe une espérance de gains dès lors que la contrepartie du sacrifice financier est équivalente à ce dernier. Ce type de service ne devrait donc pas entrer dans le champ de l’interdiction sauf à considérer que le gain réside dans le potentiel de rendement de chacune des cryptos.

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