[Edito] Vers une fiscalité des cryptos réellement applicable ?
A l’approche de l’adoption d’un certain nombre de modifications relatives à la fiscalité des actifs numériques, nous revenons, pour notre newsletter de décembre 2023, sur l’état de la fiscalité actuelle et les perspectives qu’offrent ces modifications.
La France peut se féliciter d’être l’un des premiers États à avoir instauré, en 2019, un régime d’imposition dédié et censé être adapté aux actifs numériques avec, comme killer app, la neutralisation des échanges entre actifs numériques.
Comme nous le soulignons dès son adoption, cette particularité française, loin d’être une mesure de faveur, a été dictée par la nécessité de rapidement remédier à une décision du Conseil d’Etat d’avril 2018 générant des effets d’aubaine difficiles à admettre (i.e. exonération des cessions inférieures à 5.000 €). Dans la précipitation et conscient des difficultés d’accès à l’information en matière de cryptos, le gouvernement a fait le choix d’étanchéifier fiscalement les actifs numériques.
Ce régime a le mérite d’apporter un certain niveau de sécurité juridique et d’éluder la question fiscale dans bon nombre d’opérations, permettant notamment un usage plus détendu de protocoles DeFi. La neutralisation des trades crypto-crypto est précieuse.
Cette étanchéité montre toutefois des limites, probablement anticipées hors de France puisque, contrairement à la réglementation PSAN, notre fiscalité n’a inspiré aucun autre Etat. L’actualité fiscale les met en exergue mais pourrait également permettre de les dépasser.
Un régime impraticable
D’abord, la croyance selon laquelle ce régime permettrait de ne fiscaliser les flux qu’en cas de « sortie de la blockchain » s’est érodée. D’une part, les échanges ne sont neutralisés que lorsqu’ils portent sur deux jetons qualifiés d’ « actifs numériques » ; et de nombreux actifs cryptographiques se sont développés sans pour autant répondre à la définition d’actif numérique (security token, RWA, NFT, etc.). D’autre part, seuls les échanges sont neutralisés. L’idée selon laquelle « il n’y a pas d’impôt tant que l’on reste en cryptos » a très justement été balayée par un récent amendement de clarification relatif à la fiscalité du staking qui rappelle qu’un revenu (e.g. mining, lending, liquidity mining, etc.) est imposable à la date de sa perception, qu’il soit perçu en euros, en lingots ou en cryptos.
Ensuite, la globalisation du calcul des plus-values en cas de cession génère des effets pervers évidents. Les weak hands d’un jeune trader sont ainsi susceptibles de déclencher l’imposition entre les diamond hands de ses parents. Tout comme la vente de stablecoins encaissés par un développeur indépendant, ou de jetons reçus en récompenses de staking, lui impose de fiscaliser une fraction de la plus-value latente de cryptos détenues par ailleurs. Il serait pourtant difficile de concevoir que la vente à perte d’actions LVMH génère l’imposition de plus-values latentes sur des actions Total conservées.
Enfin, cette étanchéité conduit Bercy à refuser d’admettre la possibilité de reporter une moins-value globale annuelle sur les années suivantes au motif inopérant que le contribuable est entièrement maître du fait générateur de l’imposition de ses gains.
Il est inutile de rappeler que la neutralisation et la globalisation prévues par le régime imposent aux contribuables des modalités de calcul et de déclaration particulièrement complexes, d’autant plus dans un secteur ne connaissant pour l’heure aucune norme de standardisation des données.
Au-delà de ces difficultés pratiques, devrait bientôt disparaître le principal intérêt de cette neutralisation des échanges, à savoir l’opportunité de contrôler son fait générateur d’imposition tout en s’éloignant de la volatilité des marchés. En effet, avec l’entrée en application du réglement MiCA, la plupart des stablecoins seront qualifiés de monnaie électronique et sortiront de la qualification d’actifs numériques. Un trade crypto-stablecoin constituera donc une cession imposable.
Un sursis en sursis ?
Le contexte normatif pourrait toutefois venir faire évoluer la fiscalité française pour simplifier, vraiment, la conformité fiscale des contribuables et donner une chance au gouvernement de montrer, vraiment, son soutien à l’industrie.
Le 10 novembre 2023, 48 Etats (dont US, UK, UE, JPN), ont annoncé avoir trouvé un accord politique afin d’implémenter, dès 2027, le cadre de transparence fiscale en matière de crypto-actifs conçu par l’OCDE. Ce cadre international, qui coexistera avec le cadre UE (DAC 8) prévu pour 2026, entend, d’une part, imposer aux plateformes d’échange un reporting annuel et automatique de toutes les transactions de leurs utilisateurs (dépôt, échange, retraits, coordonnées des portefeuilles non hébergés) et, d’autre part, organiser l’échange automatique d’informations entre Etats participants.
Retrouvant la vue, le gouvernement pourrait admettre de reprendre des modalités d’imposition classiques, actif par actif, en supprimant la globalisation du calcul des plus-values.
Il serait alors en mesure de mettre à la charge des intermédiaires (exchanges ou brokers) les lourdes obligations déclaratives que ne subissent pas les contribuables en matière financière (IFU, reporting fiscal, voire retenue à la source). Ces derniers ne supporteraient plus comme seule tâche que de vérifier les informations rapportées par leurs intermédiaires et déclarer celles réalisées en pair à pair.
Conservant toute sa pertinence, la neutralisation des échanges entre actifs numériques pourrait être maintenue, non plus au niveau d’un portefeuille global, mais à l’échelle d’enveloppes fiscales plus réduites, dans le cadre de plans d’épargne proposés par les intermédiaires régulés à l’instar du PEA.
Le niveau de régulation et d’institutionnalisation de l’industrie des actifs numériques augmente à une vitesse sans précédent en Europe et rejoint progressivement celui du secteur financier. Désormais, les investissements en cryptos font face aux mêmes contraintes que les investissements financiers. Il est temps qu’ils profitent des mêmes avantages.