Communication sur services régulés : précision de la définition du parrainage
Depuis plusieurs mois, les actions de parrainage (sponsorships) entre acteurs cryptos et clubs sportifs se multiplient : Binance et la Fédération brésilienne de football, Crypto.com et la National Football League ou encore Blockchain.com et la National Basketball Association.
Or, en France, le parrainage fait partie des pratiques promotionnelles interdites à de nombreux produits et services considérés comme « à risque » comme l’alcool, du tabac, certains produits financiers et des services sur actifs numériques non agréés auprès l’autorité des marchés financiers (AMF).
Une jurisprudence récente rendue en matière de publicité de boissons alcoolisées a soulevé la nuance existante entre parrainage autorisé et parrainage prohibé. Par analogie, cette jurisprudence apporte d’utiles précisions sur le champ de l’interdiction qui concerne les acteurs financiers et crypto.
Les limites de communication applicables à certains services régulés
La publicité est considérée comme un moyen à l’aide de la croissance économique, d’après Coolidge, « la publicité, c’est la vie du commerce ».
Cependant, certaines pratiques publicitaires peuvent être agressives et ainsi présenter des dangers lorsqu’il s’agit de promouvoir des produits ou services à risque tels que les produits issus du tabac, les boissons alcooliques et les services financiers.
Les émissions de jetons et les services sur actifs numériques présentent également des risques justifiant un encadrement de certaines pratiques publicitaires et notamment du parrainage. En effet, pour ces services, « toute opération de parrainage ou de mécénat est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la publicité, directe ou indirecte, en faveur : (…) de services sur actifs numériques » si le parrain n’est pas agréé par l’AMF.
Or, la définition du parrainage a pu soulever plusieurs questionnements. Si la jurisprudence en matière financière n’a pas encore abordé ce sujet, une récente décision en matière de boissons alcoolisées semble apporter plusieurs précisions sur les contours de la notion de parrainage pour les services à risques.
Précisions sur la définition du parrainage
L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 décembre 2020, confirmé par la Cour de cassation le 12 avril 2022, a apporté plusieurs précisions sur la notion de parrainage.
Cette décision a été rendue à propos de l’édition 2014 du festival Rock en Seine qui a été parrainée par la société Brasseries Kronenbourg. L’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) a assigné la société Kronenbourg et demandait aux juges de constater que la société Kronenbourg s’était livrée à des actes de parrainage illicite.
L’ANPAA fonde ses demandes sur l’article L.3323-2 du code de la santé publique, qui prévoit que « toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques ».
La formulation de cet article est identique à celle de l’article L.3512-4 du code de la santé publique s’agissant du parrainage lié aux produits du tabac et de l’article L.222-16-2 du code de la consommation s’agissant du parrainage lié aux produits financiers et aux actifs numériques.
En réponse aux demandes de l’ANPAA, la Cour d’appel a rappelé que le parrainage n’est pas prohibé par nature. En effet, « selon sa définition couramment admise, le parrainage est un soutien matériel ou financier du parrain apporté à un événement ou à une personne connue qui, en contrepartie, s’engage à faire apparaître publiquement le nom ou la marque du parrain à un moment donné ». Le parrainage est donc une pratique promotionnelle visant à associer la marque du parrain à l’image du parrainé. L’exemple le plus topique est le parrainage de stades sportifs par un parrain, dont la marque ou le nom est publiquement affiché lors du match (ex : parrainage de la salle de concert Accor Arena par Crypto.com).
Ainsi, le parrainage n’est prohibé que si celui-ci a pour effet une publicité directe ou indirecte en faveur du produit ou du service régulé.
La Cour d’appel donne ensuite de précieuses informations sur la notion de publicité qui est classiquement désignée comme une communication ayant pour objectif de « promouvoir la fourniture de biens ou de services ». La jurisprudence et la doctrine rattachent classiquement au concept de publicité l’idée d’un « moyen d’information destiné à permettre aux clients potentiels de se faire une opinion sur les caractéristiques des biens ou services qui lui sont proposés ».
En application de ces définitions, les juges en concluent que le simple usage du logo ou de la dénomination sociale de l’entreprise, ne font pas référence aux caractéristiques des biens ou services, et ne peuvent pas constituer à eux seuls une publicité.
La seule association du nom du parrain (dénomination, marque, logo) sans référence aux produits ou services qu’il commercialise est alors insuffisante pour créer un effet publicitaire et entrer dans le champ du parrainage interdit.
En conclusion, la Cour juge que la société Kronenbourg pouvait parrainer le festival car il n’a pas été relevé d’actes de publicité. Cette décision aurait toutefois été différente si Kronenbourg s’était livrée à des actes de publicité directe ou indirecte sur le lieu de l’événement (nom de marque, logo ou autres informations faisant référence aux caractéristiques des produits vendus).
Bilan & recommandations
Les arrêts et décisions commentées ci-dessus nous rappellent que le parrainage prohibé nécessite de démontrer la réunion de trois éléments cumulatifs :
L’arrêt de la cour d’appel et la décision de la cour cassation sont importants pour la pratique du contrat de parrainage qui semble alors permis aux producteurs de boissons alcooliques et, par extension, aux fournisseurs de services sur actifs numériques dès lors que l’opération ne tombe pas dans la publicité.
A la lumière de cette jurisprudence, il semble possible pour les acteurs cryptos de conclure des contrats de parrainage, sans promotion de leurs services ou de leurs produits. En matière de parrainage sportif par exemple, il semble que les acteurs cryptos puissent parrainer un événement et obtenir en contrepartie l’apposition de leurs logos, noms ou marques sur des maillots ou dans des stades.
Dans les prochaines années, le règlement européen sur les marchés de crypto-actifs (Market in Crypto Assets – MiCA), va aligner la réglementation des services sur actifs numériques à celle des autres acteurs financiers et va renforcer la sécurité des épargnants. En contrepartie, les opérateurs devront mettre en œuvre des règles plus contraignantes sur l’ensemble de leur communication.
Il est donc important pour les professionnels de porter une attention particulière tant à la forme de leurs communications promotionnelles qu’à leurs contenus.