Enregistrement PSAN renforcé : évolution nécessaire ou usine à gaz ?
Le 28 février 2023, l’Assemblée nationale a adopté un nouveau régime d’enregistrement PSAN renforcé dans le cadre de la loi DADDUE. Cette modification du régime PSAN est l’aboutissement d’un débat parfois vif entre les tenants d’une accélération du calendrier MiCA pour les nouveaux PSAN (régulateur et Gouvernement) et le secteur crypto, quant à lui favorable au respect du calendrier initial prévu par le législateur européen.
C’est finalement une solution intermédiaire qui a été retenue par l’Assemblée : le texte définitif instaure un renforcement du régime de l’enregistrement PSAN actuel. Effectif au 1er juillet 2023, ce nouveau régime ne pèsera que sur les nouveaux acteurs. Autrement dit, il ne sera plus possible de demander un enregistrement simple à compter de cette date, et les demandeurs devront déposer un dossier conforme aux nouvelles exigences réglementaires.
Voici le détail de cette évolution législative et de ce nouveau régime.
Pourquoi renforcer ce régime ?
Consolider le secteur après la tempête
Dans la continuité de la chute de Terra (LUNA), de la faillite de Celsius et du scandale FTX, le renforcement des exigences issues de la loi PACTE s’impose d’abord comme une réponse politique à ces scandales.
Outre l’effet sur la confiance dans le marché et l’aspect frauduleux de certaines de ces faillites, ces évènements ont eu pour effet de mettre en lumière l’absence de réglementation – bien que qu’une réglementation n’aurait pas permis en soi d’empêcher FTX.
Plus globalement, ce renforcement accompagne une démocratisation des crypto-actifs auprès du public.
Une adoption des crypto-actifs de plus en plus généralisée
Le renforcement de la réglementation s’appuie également sur la démocratisation rapide des crypto-actifs. Dès février 2022, l’étude “la crypto en France” de KPMG révélait que :
8% [des Français] ont déjà investi dans des cryptos, que ce soient des cryptomonnaies ou des NFT. La part de Français détenant des cryptos est donc aujourd’hui supérieure à la part de Français détenant des actions en propre (6,7% selon l’AMF).
Leur adoption devrait s’accroître dans les mois et années à venir : 30% des personnes souhaitent investir.
Face à cette démocratisation rapide, le régime libéral de l’enregistrement PSAN mis en place en 2019 semble de moins en moins adapté, ouvrant la porte à son renforcement. En coulisse, le secteur financier — et peut-être même bancaire —attend également une réglementation similaire à celle qui s’impose à eux (a minima l’agrément MiCA) pour investir ce nouveau marché.
Quels changements pour les acteurs ?
Un régime transitoire dans le calendrier MiCA
D’abord, il convient de préciser que l’enregistrement renforcé ne concerne que les aspirants PSAN qui déposeront un dossier à compter du 1er juillet 2023. Ainsi, les PSAN enregistrés à cette date ne sont pas concernés par ce nouveau régime.
Ce nouveau régime constitue une accélération du calendrier du règlement MiCA qui doit, 18 mois après son adoption à venir dans les prochaines semaines, entrer en application fin 2024 :
- les acteurs non enregistrés devront se mettre en conformité avec MiCA à compter de son entrée en application ;
- les acteurs enregistrés (simple ou renforcé) disposeront d’un délai supplémentaire de 18 mois, soit 36 mois à compter de l’adoption de MiCA, pour se mettre en conformité.
Ainsi, cette nouvelle procédure d’enregistrement renforcé vient s’intercaler entre la fin du régime de l’enregistrement simple et l’entrée en vigueur de l’agrément MiCA. Pour complexifier encore le tableau, relevons que l’agrément PSAN optionnel reste à la disposition des acteurs de l’industrie jusqu’à l’entrée en vigueur effective de MiCA (!).
Concrètement, quelles sont les nouvelles obligations des aspirants PSAN ?
Pour rappel, le régime de l’enregistrement “simple” issu de la loi PACTE exigeait que les PSAN respectent des obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) la démonstration d’un sound management – i.e de l’honorabilité et de la compétence des dirigeants et des bénéficiaires effectifs de la société.
Dès le 1er juillet 2023, les nouveaux PSAN devront notamment satisfaire aux obligations supplémentaires suivantes :
Exigence | Portée pratique |
Disposer d’un système de gestion des conflits d’intérêts | En fonction de l’activité (gestion de portefeuille notamment), mettre en place une politique d’identification et de gestion des situations susceptibles de donner lieu à un conflit d’intérêts préjudiciable aux intérêts des clients. |
Mettre en oeuvre une politique de traitement des réclamations des clients | Informer les clients sur le processus de traitement des réclamations et sur les différentes options qui s’offrent à eux. Tenir un registre des réclamations. Cette politique peut être liée à la politique d’exercice des droits des utilisateurs au titre du RGPD. |
Communiquer de manière claire, exacte et non trompeuse, et avertir les clients sur les risques liés aux crypto-actifs | Les communications du prestataire doivent notamment comporter un rappel clair et intelligible des risques inhérents aux crypto-actifs (notamment la volatilité, le risque technologique…). En pratique, cette obligation donne à l’AMF le pouvoir de contrôler la communication des PSAN, pouvoir jusqu’ici dans les mains de la DGCCRF au titre du droit de la consommation. A noter que d’autres règles s’appliquent à la communication des services crypto (loi sur les influenceurs en cours d’adoption). |
S’abstenir d’utiliser les actifs de leurs clients sans leur accord préalable | |
Publier une politique tarifaire | Le prestataire doit informer sur l’ensemble des frais ou des coûts de son service (ex. : frais d’inactivité du compte).. |
Le cas échéant, disposer d’une politique de conservation, ségréguer les crypto-actifs des clients de ceux détenus en compte propre par le PSAN, et permettre la restitution rapide des fonds au client qui en fait la demande | Pour les services de conservation et de gestion de portefeuille uniquement. |
Disposer d’un dispositif de contrôle interne | Mettre en place des mesures de contrôle interne et des procédures afin de s’assurer d’être en conformité avec les obligations légales et réglementaires. Employer à ce titre le personnel disposant des qualifications nécessaires, en interne ou en externe. |
Disposer d’un système informatique résilient et sécurisé | Disposer de dispositifs de sécurité physique et informatique pour réduire les risques d’attaque et assurer une gestion des risques efficace. Le prestataire emploie des ressources informatiques et humaines suffisantes pour assurer la sécurité de son système informatique. Il est probable que l’AMF s’aligne sur les exigences requises dans le cadre de l’agrément PSAN. |
Il faut relever que sont reprises en partie les exigences de l’agrément PSAN, lui-même très proche de l’agrément MiCA.
Si certaines de ces obligations sont relativement simples à implémenter, d’autres ont un coût opérationnel plus important :
- La mise en place d’un dispositif de contrôle interne implique un contrôle permanent réalisé par des personnes dédiées à la seule fonction de contrôle des opérations. Ces personnes peuvent être internes ou externes à la société ;
- Les nouvelles exigences en matière de cybersécurité peuvent induire des investissements importants et impératifs de la part des aspirants PSAN. Ce point sera bientôt éclairci par l’AMF dans sa doctrine.
Quelles conséquences pour le secteur ?
Ce renforcement du régime PSAN appelle trois remarques :
- Tout d’abord, il constitue la première marche vers le nouveau standard : l’agrément MiCA ;
- Ensuite, il traduit la fintechisation du secteur crypto : il sera de plus en plus compliqué d’accéder au marché régulé, et les équipes tech devront s’appuyer sur des profils plus financiers et juridiques. Les projets devront également faire l’objet de financement conséquents pour supporter le coût réglementaire ;
- Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence d’un tel “régime transitoire” à l’aube de l’entrée en application de MiCA. La pratique démontre la difficulté du secteur et des autorités de régulation à suivre les évolutions réglementaires. Le risque que cet enregistrement renforcé devienne une usine à gaz est réel, d’autant qu’aucune garantie sur ce point n’est apportée par le législateur…
Article écrit avec la collaboration de Germain Chaux, élève-avocat.