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20 décembre 2022

FTX : comment éviter la deuxième vague (fiscale) ?

Auteur
Alexandre Lourimi

Cela fait plusieurs semaines que nous assistons sidérés à la chute du géant FTX : entre gel des retraits, effondrement des cours ou effet domino, cet événement a d’ores et déjà englouti une bonne partie des illusions du précédent bull market.

A ce jour, nous pouvons déjà dénombrer plus d’un million de victimes directes auxquelles doivent s’ajouter celles issues des effets collatéraux de cet événement. Cet ensemble comprend aussi bien des particuliers et des sociétés détenant des crypto-monnaies que des prestataires de services sur actifs numériques ayant FTX comme fournisseur (broker, gestion de portefeuille, lending, etc.).Si les conséquences de cet effondrement pourraient à long terme se révéler bénéfiques pour l’industrie, elles sont pour l’heure particulièrement désagréables pour ses victimes. Avant le temps des enseignements, il apparaît essentiel pour les personnes concernées de prendre des mesures concrètes visant à anticiper et à limiter les effets pervers de l’évènement en matière fiscale.

Ces mesures varient selon qu’il s’agit de particuliers (I) ou d’entreprises (II).

 

Le traitement des pertes FTX par les particuliers

Pour les particuliers, l’appréhension et l’anticipation des conséquences fiscales de l’effondrement de FTX passent par la (i) la bonne compréhension du régime fiscal, (ii) la décision de sortir les cryptos conservées par FTX de son portefeuille et (iii), en cas de moins-value, la réalisation d’une cession pour la constater fiscalement.

Comprendre le fonctionnement du régime

Pour rappel, le régime d’imposition des plus et moins-values sur actifs numériques des particuliers prévoit des modalités de calcul très spécifiques :

  • le montant imposable chaque année au taux global et forfaitaire de 30 % correspond à la somme de toutes les plus-values et toutes les moins-values sur actifs numériques réalisées au cours d’une même année ;
  • une cession imposable est toute cession de cryptos avec une contrepartie autre qu’une crypto ; ainsi, sont fiscalement neutres : les échanges entre différentes cryptos, mais également toutes les opérations par lesquelles un contribuable se dessaisit de cryptos sans contrepartie (ex : un don, une perte, un hack, etc.) ;
  • à l’occasion de chaque cession imposable, il convient de calculer une plus-value ou une moins-value en se plaçant à la date de l’opération ; pour cela, il convient de soustraire au montant de la cession, une fraction du prix d’acquisition du portefeuille égale à la proportion que représente la cession sur la totalité du portefeuille ; ainsi, lorsque l’on cède 30 % de son portefeuille, l’on peut soustraire, du montant de sa cession, 30 % du prix d’acquisition du portefeuille ; autrement dit, le % de plus ou moins-value sur la cession réalisée est toujours égal au % de plus ou moins-value latente sur la totalité du portefeuille.

Exemple : J’achète 10 000 € de cryptos. Plusieurs mois plus tard, le portefeuille vaut 40 000 €. Ma plus-value latente représente 75 % du portefeuille. Je cède 10 000 € de cryptos en euros. Ma plus-value réalisée est de 7 500 €. 

Ainsi, une chose peut être considérée comme acquise : le gel des retraits par FTX, et d’autres, n’a, en tant que tel, aucun impact sur le plan fiscal.

En revanche, ces événements sont susceptibles d’avoir un impact ultérieur qu’il est d’ores et déjà possible d’anticiper.

En effet, dans la mesure où les plus ou moins-values en cas de cession imposable de cryptos sont calculées par référence à la plus ou moins-value latente globale du portefeuille, la perte de cryptos fait mécaniquement baisser la valeur du portefeuille total du contribuable. Or, dans la mesure où les plus ou moins-values en cas de cession imposable de cryptos sont calculées par référence à la plus ou moins-value latente globale du portefeuille, la perte de cryptos produit son effet dès la première cession imposable.

Exemple : J’achète 10 000 € de cryptos. Plusieurs mois plus tard, le portefeuille vaut 40 000 € . Ma plus-value latente représente 75 % du portefeuille. Quelques mois plus tard, je me fais hacker 80 % de mes cryptos et la valeur de mon portefeuille ne s’élève plus qu’à 8 000 € . Au moment du hack, il ne se passe rien fiscalement. Un peu plus tard, mon portefeuille vaut 7 500 € et je décide de vendre 6 000 € de cryptos. Ce n’est qu’à ce moment-là que je constate une moins-value de 2 000 €. 

Encore faut-il, pour que la « perte » impacte le portefeuille, qu’il s’agisse d’une perte au sens fiscal.

Sortir les cryptos « perdues » de son portefeuille fiscal

La loi prévoit, et l’administration précise, qu’il convient d’intégrer dans la valeur globale de son portefeuille, les actifs numériques détenus par le cédant avant de procéder à la cession (CGI, art. 150 VH bis), « quel que soit leur support de conservation (plateformes d’échanges, y compris étrangères, serveurs personnels, dispositifs de stockage hors-ligne, etc.) » (BOI-RPPM-PVBMC-30-20, 2 sept. 2019).

La notion de détention, qui est ici entendue plus largement qu’en matière civile, est donc au cœur du débat.

Le fait qu’une plateforme comme FTX, détenant des cryptos pour le compte d’un contribuable, soit placée en redressement judiciaire et ait gelé les retraits suffit-il à considérer que les cryptos ne sont plus détenues par le contribuable ? Autrement dit, cet évènement l’autorise-t-il à sortir la valeur de ces cryptos de son portefeuille pour, éventuellement, générer ensuite sa perte sur le plan fiscal ? Si oui, sur quels fondements et dans quelles limites ? Le fait qu’un exchange fasse l’objet de rumeurs d’insolvabilité pourrait-il également suffir ?

Aucune réponse ferme ne peut être apportée à ce stade mais il nous semble que le gel unilatéral des retraits et les informations tendant à établir de manière relativement probable que la grande majorité des cryptos ne pourront être retournées à leurs propriétaires rendent raisonnable le fait de sortir ces cryptos de son portefeuille. 

Si la position inverse serait particulièrement sévère, il reste envisageable que l’administration la défende dans certains cas. Il est donc recommandé de conserver l’ensemble des justificatifs relatifs aux avoirs détenus auprès de FTX et de suivre de près la procédure de redressement pour appuyer ce choix fiscal.

En cas de remboursement ultérieur de tout ou partie des cryptos, ces effets devraient être repris en ajustant le prix d’acquisition mais cette nouvelle difficulté est particulièrement souhaitable.

Générer une opération imposable

Pour que la perte des cryptos ait un impact fiscal, il convient de réaliser une cession imposable, c’est-à-dire une cession de cryptos contre des monnaies légales, un bien ou un service (une consultation fiscale, par exemple).

Le moment de la cession est crucial car, pour rappel, le montant imposable est la somme de toutes les plus-values et moins-values réalisées au cours d’une même année civile et l’éventuelle moins-value globale n’est pas reportable.

Ainsi, une personne ayant généré des plus-values en 2022 et se retrouvant, après l’effondrement de FTX, en moins-value, aurait tout intérêt à générer une cession imposable dès 2022 afin que cette moins-value puisse venir compenser les plus-values déjà réalisées en cours d’année.

Exemple : Le 03/01/2022, j’achète 10 000 € de cryptos. 

Le 03/03/2022, le portefeuille vaut 40 000 €. Ma plus-value latente représente 75 % du portefeuille. Je décide de vendre 5 000 € de cryptos. Ma plus-value est de 3 750 €

Le 03/09/2022, je me fais hacker 90 % de mes cryptos et la valeur de mon portefeuille ne s’élève plus qu’à 3 500 € . Au moment du hack, il ne se passe rien fiscalement. 

Dans la première hypothèse, je décide de ne pas vendre. L’année suivante, mon portefeuille vaut toujours 3 500 € (la crypto est l’actif le moins volatile en ce moment…). Je décide de vendre l’ensemble de mes cryptos et constate une moins-value de 5 250 €. En 2022, j’ai donc une plus-value globale de 3 750 € imposable à 30 %, soit 1 125 €. En 2023, j’ai une moins-value globale de 5 250 € qui ne peut être déduite d’aucun autre revenu. J’ai donc payé au total 1 125 € d’impôt

Dans la seconde hypothèse, je procède à la cession de la totalité de mon portefeuille le 31/12/2022, dans les mêmes conditions. Ainsi, en 2022, je constate une moins-value globale de 1 500 €. La moins-value générée la même année vient compenser la plus-value générée en amont et je ne suis redevable d’aucun impôt à ce titre.  

A défaut, dans certains cas les plus extrêmes, pour les contribuables imposés sur une plus-value s’étant volatilisée, des pistes de remise en cause de l’interdiction du report des moins-values pourraient être explorées.

 

 

Le traitement des pertes FTX par les entreprises

Si la logique est identique, les modalités d’appréhension des conséquences fiscales de l’effondrement de FTX par les entreprises varient sensiblement selon que ces entreprises détiennent des cryptos pour compte propre ou pour le compte de tiers.

Les entreprises détenant des cryptos pour leur propre compte

Les sociétés, contrairement aux particuliers, sont contraintes de tenir une comptabilité des mouvements, profits et dépréciations des éléments composant leur actif.

Pour rappel, les crypto-monnaies détenues pour compte propre par une société peuvent figurer au bilan à plusieurs titres selon l’usage qui en est prévu :

  • en immobilisation, lorsque les crypto-monnaies sont exploitées dans le cadre de l’activité pour une durée supérieure à un exercice ;
  • en stock, lorsque les crypto-monnaies sont consommées dans le cadre de l’activité ou acquises pour être revendues dans le cadre du cours normal de l’activité ;
  • ou en instruments de trésorerie, lorsque la société acquiert des crypto-monnaies à des fins d’investissement.

Au même titre que pour les particuliers, si l’incapacité d’accéder aux crypto-monnaies sur une courte période ne peut être entendu, à ce jour, comme une perte définitive de ces crypto-monnaies, les sociétés ont la faculté de refléter la probabilité d’une perte future, et d’en tirer une faible consolation fiscale, par le biais de la constitution de provisions déductibles du résultat.

Une provision est une écriture comptable permettant de déduire des sommes du résultat en prévision d’une perte (dépréciation d’un élément de l’actif, perte d’exploitation), ou d’une charge, qui n’est pas encore effective à la clôture de l’exercice mais que des événements en cours rendent probable.

Fiscalement, lorsqu’une créance est compromise en raison de la mauvaise situation du débiteur ou lorsqu’une dépréciation d’actif est à prévoir, une société peut être amenée à constituer une provision pour créance douteuse ou pour dépréciation d’actif à condition :

  • que la créance soit inscrite à l’actif et résulte d’une gestion commerciale normale ;
  • que le risque de non-recouvrement soit nettement précisé ;
  • ou que les événements en cours à la date de clôture rendent probable la perte envisagée.

Dans la cas particulier des pertes consécutives à l’affaire FTX :

  • S’agissant de l’inscription à l’actif de la créance, la créance doit être acquise à l’entreprise et être certaine dans son objet et dans son montant. Par ailleurs, cette créance ne doit pas être étrangère à la gestion commerciale de l’entreprise (ce qui pourrait être le cas si la créance représente une partie trop importante de la trésorerie) ;
  • S’agissant de la précision du risque de non-recouvrement, à l’instar de l’acquisition de la créance, le risque doit être précisé dans sa nature et son montant. Cela implique de pouvoir individualiser les créances considérées comme douteuses et de pouvoir estimer approximativement son montant, ce qui devrait pouvoir être aisément le cas des créances envers FTX ;
  • S’agissant du caractère probable de la perte à la date de clôture compte tenu des événements en cours, la constitution d’une provision doit être accompagnée d’une justification portant sur les faits rendant probable la perte. Il n’existe pas, à proprement parler, d’étalon permettant de déterminer le caractère probable ou non d’une perte. Les informations officielles tirées de la procédure de redressement de FTX pourraient à ce titre constituer de précieux éléments.

Ainsi, la constitution d’une provision déductible permet aux sociétés d’éviter d’avoir à « avancer » un impôt sur les sociétés qu’elles sont vouées à récupérer au moment du constat de la perte définitive. L’opération constitue un atout important en termes de gestion de trésorerie.

Attention toutefois à agir rapidement dans la mesure où, les provisions, pour être déductibles, doivent figurer au bilan de l’exercice de la réalisation des événements.

Les entreprises détenant des cryptos pour le compte de tiers

A la différence des précédentes, les sociétés détenant des crypto-monnaies pour le compte de tiers ne possèdent pas la propriété desdites crypto-monnaies. Il s’agit principalement des prestataires de services sur actifs numériques proposant, par exemple, des services de conservation et/ou de gestion de cryptos pour le compte de leurs clients.

A ce titre, la valeur des crypto-monnaies détenues n’apparaît pas dans leur bilan et la perte ne constitue pas une charge supportée par la société, mais par le tiers auquel les crypto-monnaies appartiennent.

Toutefois, si la société ne supporte pas économiquement la perte des cryptos, le risque que cette dernière soit tenue pour responsable de cette perte par ses clients peut rarement être écarté. La réalité de ce risque dépend bien évidemment de chaque situation et, notamment, des engagements contractuels du prestataire et des modalités de réalisation de sa prestation.

Si ce risque est établi, la constitution d’une provision pour litige pourrait être envisagée. Cependant, dans le cadre de l’effondrement de FTX, le risque d’une perte financière résultant de l’obligation d’indemniser des clients est encore plus incertain que le risque d’une perte de cryptos. Il implique, en effet, de caractériser le risque de la perte des cryptos, mais également celui de l’engagement d’un contentieux introduit par les utilisateurs et ayant un minimum de chances d’aboutir.

Une provision à ce titre ne peut être déduite du résultat fiscal qu’à la condition que le litige soit déjà né lors de la constitution de la provision. Or, doit être entendu comme constituant un litige né, l’engagement d’une action judiciaire ou d’une procédure de règlement des litiges à l’encontre de la société visée.

Si c’est le cas, la société devra alors déterminer le montant de cette provision sur le fondement des prétentions de leurs adversaires.

Le cabinet ORWL Avocats se tient à votre disposition pour vous fournir davantage d’informations ou vous accompagner dans l’anticipation des effets fiscaux de pertes, probables ou définitives, de cryptos. 

Article écrit en collaboration avec Clément Tassart, fiscaliste. 

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