Promotion des services crypto : état des lieux
En 2018, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a réagi publiquement à la promotion de services de formation en trading de crypto-monnaies par l’influenceuse Nabilla : « C’est vraiment sûr, c’est vraiment cool, si ça vous intéresse, vraiment vous pouvez y aller les yeux fermés ! » (sic).
Le 27 juillet, dernier un communiqué de presse de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a rendu publique la sanction de cette personnalité (i.e. une amende transactionnelle de 20 000 euros). Cette mesure, prise par le DGCCRF et non l’AMF, se fonde sur le caractère trompeur des messages promotionnels de Nabilla et non sur une quelconque réglementation financière. A ce titre, l’AMF s’est contentée d’un simple rappel des bonnes pratiques à adopter par les épargnants confrontés à la promotion d’investissements à rendements élevés.
#Nabilla Le #Bitcoin c’est très risqué ! On peut perdre toute sa mise. Pas de placement miracle. Restez à l’écart.
— AMF (@AMF_actu) January 9, 2018
Dans le même temps, des acteurs français comme étrangers communiquent fortement en ligne et hors ligne sur leurs services crypto, profitant d’un marché favorable. La dernière campagne publicitaire de Coinhouse dans le métro parisien est un modèle du genre.
L’application concomitante de règles issues de plusieurs codes associée aux positions des régulateurs imposent un rappel sur ce qui est autorisé et ne l’est pas en matière de promotion de services sur actifs numériques.
Les limites à la publicité des services sur actifs numériques
Les services sur actifs numériques désignent une série d’activités impliquant le maniement d’actifs numériques, telles que la conservation, l’échange fiat-to-crypto/crypto-to-crypto, la tenue d’une plateformes d’échange, la gestion de portefeuille, etc. L’exercice de la plupart de ces activités implique d’être préalablement enregistré auprès de l’AMF en tant que prestataire de services sur actifs numériques (PSAN). À ce titre, ces prestataires régulés supportent un régime de communication particulier.
Conformément au caractère libéral et pro-innovation du régime PSAN, le législateur a accordé à ces prestataires une liberté importante pour promouvoir leurs services. Toutefois, à l’instar de certains instruments financiers hautement spéculatifs et risqués (Forex, binaire), des limites sont prévues afin de protéger les investisseurs.
En pratique, ces limites se traduisent par l’interdiction de quatre pratiques :
- Le démarchage, à savoir « toute prise de contact non sollicitée, par quelque moyen que ce soit, avec une personne physique ou une personne morale déterminée, en vue d’obtenir, de sa part, un accord sur une opération ». Concrètement, un PSAN n’a pas le droit de faire la promotion de son service via la location d’une mailing list ou en ayant recours à du phoning ; en revanche, la publicité ciblée en ligne – qui n’est pas « déterminée » – ne peut être assimilée à du démarchage ;
- Le quasi-démarchage qui désigne la collecte en ligne d’informations personnelles via un formulaire de contact afin d’engager, dans un second temps, un démarchage en tant que tel. Cette interdiction doit être comprise à la lumière des pratiques d’escroqueries qui, pour contourner l’interdiction du démarchage, ont simplement cherché à ajouter une étape de collecte (remplir un formulaire, on vous rappellera). Cette interdiction couvre un périmètre restreint et ne semble viser qu’une évolution du démarchage précitée ;
- Le parrainage (ou sponsoring) dès lors qu’il a pour objet ou pour effet la publicité directe ou indirecte en faveur d’une opération portant sur un actif numérique (investissement ou Initial Coin Offering). Le parrainage est entendu comme le « soutien matériel à une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisation, dans le but d’en retirer un bénéfice direct ». En revanche, la pratique du referral par lequel un utilisateur est récompensé lorsqu’il incite un nouveau client à utiliser le service reste pleinement autorisé ;
- Le mécénat qui permet aux donateurs personnes morales de bénéficier d’une contrepartie à hauteur de 25 % du don. On pense au baptême d’une salle de musée au nom du PSAN, la participation à un club des mécènes ou plus simplement la communication sur l’opération par le mécène. Autrement dit, le PSAN reste autorisé à faire un don ou à financer une œuvre sous réserve de ne pas communiquer sur ses services à cette occasion.
La violation de ces interdictions – sanctionnée pénalement – concerne non seulement l’annonceur (PSAN, ICO, etc.), mais également les intermédiaires, les prestataires, acheteurs, vendeurs ou les diffuseurs ayant participé aux communications litigieuses. Ainsi, un youtubeur ou un influenceur devra faire attention à ne pas participer à ces infractions, sous peine de se voir infliger l’amende de 100 000 € prévue par le code de la consommation.
Enfin, ces interdictions ne pèsent pas sur les PSAN agréés dans la mesure où la protection de l’investisseur est garantie. Toutefois, aucun agrément n’a jamais été délivré par l’AMF à ce jour, les PSAN autorisés à exercer aujourd’hui ne disposant que de l’enregistrement.
Les interdictions relatives à la publicité trompeuse
La publicité trompeuse relève des pratiques commerciales trompeuses visant à protéger le consommateur face à des actes promotionnels de nature à tromper sa décision d’achat ou d’investissement. Cette interdiction couvre l’ensemble des professionnels en relation avec des consommateurs et, en ce qui concerne les acteurs crypto, les services régulés ou non régulés (formation au trading, conseil en investissement, gestion individualisée de portefeuilles ou placement garanti).
Le marché des actifs numériques présente des caractéristiques “idéales” pour l’application de ce régime :
- une compréhension compliquée pour le grand public et les néophytes ;
- des incitations extrêmement fortes à l’investissement (rendement à 2, voire à 3 chiffres, euphorie, caractère innovant, etc.)
- un recours massif aux réseaux sociaux ainsi qu’aux influenceurs professionnels ou amateurs pour promouvoir les projets.
Ainsi, il peut être tentant pour les projets ou les PSAN de s’offrir les services d’un influenceur pour vanter les mérites du service crypto sur le ton d’un simple partage d’expérience. C’est ce type de communication que le régime des pratiques commerciales trompeuses visent à réprimer pénalement, comme l’illustre l’affaire Nabilla.
Pour sanctionner l’influenceuse, la DGCCRF s’est fondée sur deux points :
- en premier lieu, elle s’est abstenue d’indiquer l’identité de l’annonceur (ici, une plateforme d’échange étrangère, non enregistrée de surcroît) ;
- en second lieu, le fait que les propos étaient de nature à induire le consommateur en erreur quant aux caractéristiques du service s’agissant des résultats attendus (gratuité, rendement de 80 % et pas de risque de perte).
Attention toutefois, le régime des pratiques commerciales trompeuses ne se cantonne pas au champ des influenceurs, mais s’applique à toute communication, quel que soit le support utilisé ou le marché visé.
Pour exemple, en 2018, la succursale de la société britannique IG Markets en France a été condamnée à une amende 500 000 euros pour avoir eu recours à des pratiques commerciales trompeuses en matière de trading sur Forex et CFD. L’AMF retenait à cette occasion plusieurs informations inexactes de nature à induire ses clients en erreur : entre autres, la mise en avant des gains potentiels sans mentionner le risque, bien plus grand, de pertes ; ou encore la présentation des salariés en tant qu’« analystes » alors que sans certifications ils n’étaient que des agents commerciaux.
Ainsi, si le recours aux influenceurs ou aux publicités sur internet s’avère être une stratégie profitable, il conviendra pour les PSAN de rester prudents, en s’entourant de professionnels conscients du cadre légal et des pratiques déontologiques du milieu publicitaire, plutôt que de céder aux sirènes de la promotion à outrance.
Au-delà des bonnes pratiques, la question des restrictions contractuelles
En termes de bonnes pratiques, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) liste les clefs d’une communication responsable en matière de marketing d’influence.
La notion d’ «équilibre» invite les prestataires de services crypto à communiquer des informations intéressant les performances attendues sans omettre les risques engendrés.
L’ARPP met également en avant la « responsabilité sociale » de l’annonceur, afin de souligner que la publicité ne doit pas avoir pour objet de présenter le service comme un moyen de conférer une supériorité sociale à ceux qui l’utilise, de s’enrichir rapidement sans risque ou de régler leurs problèmes économiques.
D’un point de vue contractuel, les acteurs font aujourd’hui face aux conditions d’utilisation des services de Facebook et Google en situation de monopole concernant la publicité en ligne.
En effet, les GAFA soumettent toute publicité en rapport avec les crypto-monnaies à des conditions rigides et contraignantes.
Par exemple, Facebook mentionne dans sa politique en matière de crypto-monnaies que les annonceurs doivent recevoir une confirmation de leur autorisation par le réseau social avant toute opération publicitaire « afin d’éviter toute publicité trompeuse pour ces produits et services ». Cette position est de nature à empêcher un prestataire de services, enregistré auprès de l’AMF, de diffuser une publicité sur le réseau social alors même que la communication en cause n’enfreint aucune interdiction en France.
De même, Google a interdit toute publicité en lien avec les crypto-monnaies, à l’exception des services régulés auprès des autorités américaines. L’extension de cette règle aux acteurs PSAN français, voire à l’ensemble du secteur crypto, se fait attendre.
Paradoxalement, la réglementation est bien plus libérale que les règles posées par ces acteurs privés, réputés innovants.
En attendant la rationalisation des règles de communication pour les services crypto, les PSAN sont encouragés à se faire accompagner, ou du moins à se sensibiliser sur ces questions afin de ne pas se voir reprocher un point commun avec Nabilla.
Article écrit en collaboration avec Hugo Marchadier, stagiaire.