Publication des plans Celsius et FTX : un point sur les procédures de Clawback
Le 11 novembre 2022, FTX déposait une requête devant le tribunal des faillites du Delaware afin d’être placée en redressement judiciaire, conformément aux dispositions du chapitre 11 (Chapter 11, title 11, United States Code) du Bankruptcy Act, la loi américaine sur les faillites.
Ce placement sous protection de FTX s’inscrit dans le sillage des procédures déjà initiées par plusieurs autres acteurs majeurs du secteur des actifs numériques cette année aux Etat-Unis (Terraform Labs, Voyager Digital, Celsius Network, BlockFi, Genesis) dans un contexte de grande difficulté du secteur. Dans cette procédure, des administrateurs (syndic trustees) sont chargés de redresser la situation financière et comptable de la société, afin de lui permettre de poursuivre son activité. À cette fin, l’objectif principal de ces administrateurs est d’apurer le passif de la société, c’est-à-dire réduire ses dettes au moyen des biens et valeurs qu’elle possède encore (l’actif disponible).
Parmi ces actifs, il y a évidemment les fonds déposés sur l’exchange. Cependant, un volume important de ces fonds, à hauteur de 6 milliards de dollars, ont été retirés par des investisseurs dans les 72 heures précédant la faillite, et ce afin de les préserver des conséquences de celle-ci.
Aux termes du projet de plan de redressement publié le 31 juillet 2023, les administrateurs chargés de redresser la société FTX vont chercher à réintégrer des fonds ainsi transférés à l’actif de la société afin de faciliter sa restructuration financière.
Le célèbre exchange n’est pas le seul à prévoir une réintégration d’ampleur de fonds retirés avant la faillite : le plan de redressement de la plateforme Celsius Network a été voté par ses créanciers le 25 septembre 2023, et celui-ci prévoit, à des conditions variables au regard du statut des clients et des planchers de retrait, de recouvrer plusieurs centaines de millions de dollars retirés par ses clients avant le déclenchement de la procédure collective.
C’est dans ce contexte que nous avons souhaité répondre à l’une des questions récurrentes soulevées par ce plan : les français ayant retiré leurs fonds de la société FTX avant la faillite sont-ils susceptibles d’être poursuivis en recouvrement depuis les Etats-Unis et en France, et de voir ceux-ci être saisis in fine ?
L’introduction d’une procédure Clawback en droit américain
Qu’est-ce qu’une clause de Clawback?
La procédure de Clawback (en français, au sens strict : « récupération »), prévue par le chapitre 7 (liquidation judiciaire) et le chapitre 11 (redressement judiciaire) de la loi américaine sur les faillites, est une procédure de recouvrement de créances.
Concrètement, elle permet de procéder à la saisie de fonds qui ont été retirés d’une entreprise peu de temps avant sa déclaration de faillite, dès lors que ceux-ci sont des actifs susceptibles de l’aider à assainir son bilan comptable. Cette procédure est commune dans la législation applicable aux entreprises en difficulté.
Une procédure analogue existe ainsi en droit français : lorsqu’un redressement judiciaire est ouvert, le tribunal de commerce fixe la date de cessation des paiements au vu des éléments qui lui sont remis par le débiteur et ses créanciers de l’entreprise et il est fait interdiction à l’entreprise débitrice de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture (article L. 622-7 du code de commerce par renvoi de l’article L. 631-14 du même code). La période entre la date de cessation des paiements et le jugement d’ouverture du redressement judiciaire est alors appelée période suspecte : durant cette période, l’article L. 632-1 du code de commerce prévoit que certains transferts de fonds à titre de paiement de créances non encore exigibles à la date de cessation des paiements peuvent être annulés et réintégrer au profit des comptes de l’entreprise en difficulté.
C’est un mécanisme identique qui est à l’œuvre avec la procédure américaine de Clawback.
En effet, dans le contexte des faillites des plateformes cryptos, le Bankruptcy Act permet, avec cette procédure, de procéder au recouvrement des créances, c’est-à-dire les fonds des clients, retirés avant la déclaration de faillite.
Les administrateurs de la société en redressement peuvent ainsi intenter des actions en annulation et en recouvrement (Preference claims), qui visent à invalider ou à annuler certaines transactions antérieures à la faillite et à récupérer leur valeur au profit de l’actif du débiteur (l’entreprise en faillite, telle FTX, Celsius Network, Terraform Labs, etc.) dont la situation financière doit être restructurée.
Qui est concerné par la clause de Clawback ?
Compte-tenu du large spectre des actifs susceptibles de faire l’objet d’un clawback, de nombreuses personnes sont susceptibles de faire l’objet d’une procédure en recouvrement dans le contexte d’un redressement judiciaire aux Etats-Unis.
En bref, selon l’article 547 (b) du chapitre 11 du Bankruptcy Act, tous les transferts de fonds intervenus au titre de paiement de créance, dans les 90 jours précédant la déclaration de faillite (l’équivalent de la période suspecte, en droit français), peuvent faire l’objet d’une annulation et d’un recouvrement au profit de leur réintégration à l’actif de la société débitrice en redressement.
Dès lors, en théorie, toutes les personnes ayant retiré des fonds de leur plateforme crypto pendant cette période peuvent faire l’objet d’une procédure de recouvrement pouvant aboutir à la saisie des montants correspondants sur leur compte en banque.
Telle est la situation pour les anciens clients de plateforme telles que FTX ou Celsius Network selon leurs plans de redressements respectifs.
En pratique toutefois, une décision ordonnant la saisie de tels fonds à l’égard d’un client français ne résidant pas sur le territoire fédéral ne lui sera pas mécaniquement opposable.
L’opposabilité d’un Clawback aux résidents français et européens
L’absence de caractère exécutoire d’une clause de Clawback auprès des clients résidents en France et en Europe
Avant toute autre considération, il faut rappeler un principe constant : en droit français, une décision rendue par une juridiction étrangère n’est pas automatiquement applicable (on dit, « exécutoire ») à un français ou à un citoyen européen résidant en France ou dans l’un des Etats-membre de l’Union européenne.
Dans ces conditions, en principe une décision ordonnant la saisie de tels fonds, au titre de leur recouvrement pour réintégration à l’actif des sociétés cryptos en difficulté, visant un français ne résidant pas sur le territoire fédéral ne lui soit pas opposable.
Pour que la force exécutoire d’une telle décision soit reconnue, elle doit être revêtue de l’exequatur. Et, les juridictions françaises décident de manière constante que des décisions américaines relatives à une procédure de faillite doit être revêtue de l’exequatur en France pour être exécutoire.
Les chances de succès qu’une saisie américaine des actifs retirés avant la faillite des plateformes cryptos sur le fondement du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites soit susceptible d’intervenir en France dépend, entre autres, de l’issue de la procédure.
La nécessité d’une exequatur
L’exequatur (articles 509 et suivants du code de procédure civile) est une procédure visant à reconnaître, en France, force exécutoire à un jugement rendu par une juridiction étrangère. Concrètement, il s’agit de faire produire à cette décision étrangère des effets juridiques en France, permettant d’exécuter ses prescriptions sur le territoire français et à l’encontre des nationaux (par exp., en saisissant un commissaire de justice [ancien huissier de justice] ou, en cas de conflit, le juge de l’exécution).
Faute de quoi, cette décision n’est pas revêtue de la force exécutoire à l’égard du justiciable français résidant sur le territoire de la République : celui-ci n’a pas à respecter cette décision, qui ne lui est pas opposable.
Obtenir une telle décision n’est pas chose aisée, y compris en matière de recouvrement de créances. En effet, pour que la force exécutoire d’une décision étrangère soit reconnue, pas moins de six conditions doivent être réunies.
D’abord, trois conditions de forme : le jugement doit satisfaire aux conditions de l’authenticité de la décision juridictionnelle étrangère, être revêtu de la forme exécutoire selon la loi étrangère et le demandeur à l’exequatur doit avoir qualité et intérêt à agir.
Ensuite, trois conditions de fond : le juge français doit contrôler la compétence du juge étranger pour rendre le jugement faisant l’objet de la demande d’exequatur, sa conformité à l’ordre public international français et enfin l’absence de fraude.
Ainsi, avant toute saisie des fonds retirés sur les échangeurs ou prêteurs cryptos, un trustee devra satisfaire ces conditions pour introduire un recouvrement à l’encontre des français concernés résidant en France.
En l’état des informations préliminaires à notre disposition, et sous toutes réserves des suites juridictionnelles et évolutions législatives à venir, l’exécution d’une procédure américaine de Clawback en France apparaît très contraignante.
Elle demeure, cependant, possible et envisageable, au regard d’autres conditions, relatives aux seuils de recouvrement, de la qualité de la personne ayant retiré les fonds, de son lieu de résidence, du lieu de détention des fonds et des délais dans lesquels l’action en recouvrement est introduite ; conditions qui peuvent avoir une incidence sur la satisfaction, ou non, d’une ou plusieurs conditions de fond exigées au titre de l’exequatur.
Si vous souhaitez déterminer dans quelles mesures vous êtes susceptible, ou non, de faire l’objet d’une procédure de clawback, contactez-nous.
Article écrit avec la collaboration de Damien Triballeau, élève-avocat.