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21 février 2023

Marché secondaire : pouvez-vous interdire la revente de vos jeux vidéo et de vos NFTs ?

Auteur
Louisa Auscher

Selon une étude de la société Tripartite, le marché de l’occasion serait aujourd’hui évalué à 7 milliards d’euros en France et à 86 milliards en Europe. Les œuvres d’occasion représentent donc un marché particulièrement important, que les auteurs semblent avoir tout intérêt à maîtriser. Mais les auteurs peuvent-ils réellement interdire les reventes de leurs œuvres sur le marché secondaire ?

La réponse dépend du droit dont bénéficie l’auteur, qui est lui-même fonction de la nature de l’œuvre en cause. Il détiendra alors soit un droit de distribution, soit un droit de communication au public et de chacun de ces droits découlent des prérogatives spécifiques.

 

La distinction entre droit de distribution et de communication au public

Les auteurs d’œuvres matérielles bénéficient d’un droit de distribution leur permettant « d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci ». Ce droit exclusif permet aux auteurs d’interdire la revente de leurs œuvres et de contrôler le marché de l’occasion (marché secondaire).

Or, le droit de distribution est soumis à un « épuisement communautaire », c’est-à-dire qu’il ne peut plus être invoqué une fois que l’auteur a distribué (i.e. vente ou location) son œuvre dans l’Espace Économique Européen (EEE). Dans ce cas, il ne peut plus ensuite s’opposer à la libre circulation de son œuvre, y compris à sa revente.

Les œuvres immatérielles (ex. l’art numérique) relèvent quant à elles du droit de communication au public. Ce droit permet également de contrôler la transmission des œuvres au public, mais ne s’épuise pas à la première mise en circulation.

Il existait donc une réelle dichotomie entre œuvres physiques (relevant du droit de distribution) et œuvres numériques (relevant du droit de communication au public). Mais en 2012, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a légèrement compliqué les choses en étendant le droit de distribution aux copies immatérielles de logiciels. En effet, en se fondant sur la directive européenne dite « logiciels », qui ne distingue pas les copies matérielles des copies immatérielles, la CJUE a considéré que le droit de distribution devait s’appliquer sans distinction à ces deux types d’exemplaires.

Cette remise en cause de la distinction a soulevé la question suivante : quid des jeux vidéos, qui contiennent des œuvres numériques et des composantes logicielles ?

 

La complexité des jeux vidéo : une application distributive ?

Le jeu vidéo est une œuvre dite « complexe ». Composée à la fois d’éléments graphiques, audiovisuels, sonores et logiciels, chacune de ses composantes est soumise au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature. Les composantes logicielles du jeu vidéo seront donc protégées par le droit d’auteur spécial des programmes d’ordinateurs, la base de données par le droit sui generis, les composantes graphiques par le droit commun du droit d’auteur, etc…

Malgré ce régime d’application distributive établi depuis 2009, un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris (arrêt Valve) a raisonné autrement pour déterminer l’application, ou non, du droit de distribution aux jeux vidéo. Jugeant que « de l’œuvre entière qu’est le jeu vidéo, les composantes non logicielles du jeu vidéo (…) sont les plus nombreuses et les plus essentielles », la Cour a retenu que le droit commun du droit d’auteur, et non le régime spécial prévu pour les logiciels, devait s’appliquer à la question de l’épuisement du droit de distribution.

Selon ce raisonnement, seule la mise à disposition d’une copie du jeu vidéo sur un support physique, et non le simple téléchargement, emporte l’épuisement du droit de distribution.

En conséquence, les éditeurs de jeux vidéo peuvent valablement interdire la revente des copies numériques de leurs jeux (ex. via des clauses d’interdiction et de sanctions dans leurs conditions générales) et contrôler ainsi le marché secondaire.

Le raisonnement de la Cour d’appel doit cependant être appréhendé avec prudence car il semble emprunter la réflexion de la CJUE s’agissant des livres électroniques (arrêt Tom Kabinet). Or, la nature du jeu vidéo est bien plus complexe que celle du livre électronique et la solution retenue par la Cour d’appel, bien qu’intéressante, pourrait aisément être remise en cause en cassation.

Cependant, cette réflexion pourrait bien être appliquée aux NFTs, lesquels sont bien moins complexes que les jeux vidéo.

 

Le NFT : une œuvre numérique ou logicielle ?

La notion de NFT regroupe deux éléments : un jeton qui consiste en un code informatique et un sous-jacent qui peut être tout élément physique ou numérique. Souvent, le sous-jacent sera une œuvre numérique ou numérisée, à laquelle l’émetteur va donner accès au moyen d’un fichier numérique associé.

Alors comment déterminer si la mise en circulation d’un NFT lié à une œuvre numérique relève du droit de distribution ou du droit de communication au public ? Peut-on raisonner par analogie avec les arrêts Valve et Tom Kabinet ?

Si nous appliquons ce raisonnement, l’aspect logiciel du jeton est évidemment bien accessoire à l’œuvre y étant associée, laquelle doit être considérée comme l’élément essentiel. Il convient alors d’appliquer au NFT le régime de l’œuvre sous-jacente. Ainsi, en présence d’une œuvre numérique associée au NFT, sa distribution relèverait du droit de communication au public. Les émetteurs pourraient donc contrôler le marché secondaire de leurs NFTs, en interdisant leur revente sur certaines plateformes par exemple.

 

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